Une plantation chargée d'histoire

Bientôt un siècle, un siècle que la terre de Butorangwe est travaillée, soignée et choyée. Si les procédés, les cultures, les hommes et les femmes se sont succédés, les convictions et les valeurs, elles, sont restées inchangées. L’histoire des Candolle est un peu plus récente que celle de la plantation. Celle-ci commence en 1952 lorsque Pierre de Candolle s’y rend pour la première fois. Cette même année il est nommé gestionnaire la plantation, alors en possession de l’empereur Bao Daï. Bao Daï, c’est le dernier empereur que l’Indochine connaîtra. Les mouvements indépendantistes et la réorganisation des colonies françaises d’Indochine le pousseront hors des frontières de son pays d’origine. Rapatrié politique en France, il décide de chercher un pays, un lieu qui lui rappellera son Indochine perdue. Ce pays sera le Congo Belge et ce lieu Butorangwe, une presqu’île de la péninsule d’Ishungu qui se jette dans l’immensité du lac Kivu. De cette époque impériale, les écuries, le vieux pigeonnier, l’arche d’entrée et quelques blasons subsistent, témoins du passage de Bao Daï.

La beauté et l’exclusivité du cadre séduiront Pierre de la même manière. Il ne le sait pas encore mais il deviendra propriétaire de cette terre dans un Congo libre et indépendant : le Zaïre.
Il y optimisera la culture du café, y développera celle du quinquina, instaurera très rapidement des manières de travail intégrées aux coutumes locales qu’il fondera obstinément sur des valeurs de redistribution. Il y éduquera également ses deux filles et son fils.

Son fils, c’est Ghislain de Candolle, lui non plus ne le sait pas encore mais il deviendra également gestionnaire puis propriétaire de Butorangwe. C’est la deuxième génération de Candolle à la tête de l’exploitation. Il s’évertuera, selon les valeurs et les principes transmises par son père, à développer les activités de la plantation. Ingénieur en agronomie tropicale brillamment diplômé, il parviendra à sensiblement augmenter la quantité et qualité de production. Amoureux de cette terre, véritable enfant du pays, les guerres, les évènements tragiques et marasmes politiques n’auront pas raison de son acharnement à soigner le lieu qu’il aime tant et à prendre soin des acteurs locaux qu’il respecte profondément.

Bientôt ce sont ses filles et son fils qui fouleront à leur tour la terre de Butorangwe, comme si cette passion se transmettait par les gènes. Et c’est désormais à Guillaume de Candolle de prendre soin de la terre. Il incarne ainsi la troisième génération de Candolle à diriger la plantation de Butorangwe. La continuelle quête de l’amélioration des procédés est son cheval de bataille. L’objectif : amener le meilleur du terroir dans une tasse de café. Et pour lui, tout comme pour Pierre et Ghislain, le meilleur terroir ne se limite pas à la qualité de la terre volcanique, à la proximité du lac, à l’altitude et météo parfaitement adaptées à l’épanouissement de l’arabica... C’est aussi et avant tout une organisation de travail intégrée et respectueuse des coutumes et de la terre. L’amélioration des conditions de travail et la protection des intérêts de la population sont la colonne vertébrale de Butorangwe qui est par ailleurs un soutien et un incubateur d’indépendance des femmes non négligeable.

Le café de Butorangwe n’a pas « d’exception » que le nom. Cette terre volcanique si propice à la culture de l’arabica, bordée par le lac Kivu, arrosée de pluie imprévisibles, offre un terroir d’une qualité rare mais qui n’a pas fini de livrer tous ses secrets. Les hommes et les femmes qui en foulent la terre, qui en prennent soin chaque jour, méritent une reconnaissance et un respect quotidien, à la hauteur de leur propre attachement à cette terre. La terre et les hommes sont intimement liés à l’histoire de Butorangwe. Ils sont Butorangwe.

LE CAFÉ DE BUTORANGWE

Qu’est-ce qu’un caféier de Butorangwe ? La plupart des caféiers sont issus de la plantation. Les graines ont été sélectionnées rigoureusement quant à leurs qualités gustatives et leur résistance naturelle aux maladies. A Butorangwe, on a compris depuis longtemps que la production d’un café de spécialité de qualité est incompatible avec la surproduction et l’emploi de produits chimiques. Aussi, il est vital que les plantules, puis les jeunes arbres, soient naturellement aptes à se défendre face aux agressions. De cette manière, il ne faudra aux jeunes plants de la pépinière que de l’eau de source, un léger ombrage et une surveillance quotidienne. La croissance naturelle de l’arbre est ainsi totalement respectée.

“une attention toute particulière est portée à la maturité et la qualité des cerises : elles doivent être parfaites…”

Au bout d’un an, la plantule est transférée en pleine terre. En guise d’engrais, seules la pulpe de cerise issue de l’usine et les feuilles mortes des arbres qui ombragent naturellement la plantation sont étalées au pied des caféiers. Le plant sera ensuite pincé et arqué : outre d’aider l’arbre à s’étoffer, cette opération permet de le garder à hauteur d’homme, condition indispensable à la future récolte qui s’effectue entièrement à la main. Enfin, le caféier a trois ans : il va commencer à produire ses premières cerises.

Lors de la récolte à la main, une attention toute particulière est portée à la maturité et la qualité des cerises : elles doivent être parfaites, car une seule mauvaise cerise peut dégrader tout un lot. Et ce n’est que le premier tri d’une longue série.
A l’usine, les cerises sont plongées dans de grands bassins d’eau pour effectuer un triage par flottaison : les bonnes coulent, les mauvaises remontent à la surface. A Butorangwe, l’eau de ces bassins provient de la source de Lugendo ou des bassins de récupération de pluie et tourne en circuit fermé afin de l’économiser.

Les secrets d'un terroir

Ensuite, les cerises sont dépulpées : cette opération retire la chair afin de ne garder que les deux grains au cœur du fruit. Les grains sont soumis à une légère fermentation, ce qui facilitera le lavage. Pendant le lavage à l’eau, qui finit d’ôter la pulpe, les grains sont triés une nouvelle fois, puis étalés sur des séchoirs. Après quelques jours de séchage à l’ombre, le soleil finit le travail. Grâce à ce séchage progressif et naturel, les saveurs du café ont le temps de se développer, aussi il ne faut pas l’exposer trop tôt. A cette occasion, les grains sont triés une nouvelle fois, à la main, comme les fois précédentes. 

Une fois secs, les grains sont désormais du café vert. Ils sont mis en sac et expédiés à Goma pour être déparchés, c’est-à-dire enlever la parche, cette fine coquille qui recouvre le grain. Un cinquième, voire un sixième triage aura lieu de manière mécanique cette fois.
Butorangwe produit historiquement du café lavé. Cependant, fidèle à ses ambitions de
progression permanente, la plantation explore sans cesse de nouveaux procédés pour
s’améliorer, comme par exemple le café honey.

“Savoir-faire bien gardé : outre le fait que la presqu’île est isolée et difficile d’accès…”

Butorangwe est située sur la presqu’île d’Ishungu, à mille cinq-cents mètres d’altitude. Une situation géographique inédite, car elle est ainsi bordée par le lac Kivu sur des kilomètres. Or le lac Kivu est réputé pour être garant d’un terroir de qualité. Par ailleurs, si sa terre est si volcanique (qualité particulièrement appréciée par les caféiers), c’est parce que la région est jalonnée de nombreux volcans, comme le Nyiragongo, le plus grand volcan encore en activité au monde. Cette haute teneur volcanique confère à la région une biodiversité riche et spécifique, que Butorangwe entretient et protège en continuant de planter des arbres de différentes espèces et en se refusant aux désherbages de ses terres.

À cette terre singulière s’ajoute le climat exceptionnel de la région, à la fois tropical et tempéré. Les températures ne sont jamais écrasantes, et la pluie tombe fortement en saison.
La rareté, la symbiose délicate de ces conditions réunies expliquent que le terroir n’a pas encore livré tous ses secrets. Jour après jour, Butorangwe s’évertue à l’explorer, le connaître, le valoriser, et ce dans le plus grand respect d’un savoir-faire artisanal ancestral.
Savoir-faire bien gardé : outre le fait que la presqu’île est isolée et difficile d’accès, les habitants de l’unique village de Lugendo travaillent presque tous à la plantation et transmettent les techniques aux générations suivantes. La transmission, l’histoire, la famille, font partie de l’ADN de Butorangwe à tous les niveaux.
Ces conditions permettent aussi une préservation remarquable de la nature : elle est luxuriante, omniprésente, libre de s’épanouir à son rythme. Elle est cependant aussi belle que fragile. Une fragilité dont il faut avoir conscience pour continuer à la protéger.

NOS VARIÉTÉS

Côté caféiers, les plus anciens, des maragogypes, ont été importés du Guatemala. À ceux-ci se sont rajoutés, au fil des années, des plants en provenance du Brésil et de Colombie, et plus récemment encore, du Costa Rica. Les autres caféiers sont issus de la plantation elle-même : lors de la récolte, les meilleures graines sont sélectionnées et envoyées à la pépinière. Au fil des années, ces différents plants ont créé (et continuent de créer) un métissage naturel particulièrement intéressant tant au niveau des saveurs que de la résistance aux maladies.

Le café de Butorangwe n’a pas « d’exception » que le nom. Cette terre volcanique si propice à la culture de l’arabica, bordée par le lac Kivu, arrosée de pluie imprévisibles, offre un terroir d’une qualité rare mais qui n’a pas fini de livrer tous ses secrets. Les hommes et les femmes qui en foulent la terre, qui en prennent soin chaque jour, méritent une reconnaissance et un respect quotidien, à la hauteur de leur propre attachement à cette terre. La terre et les hommes sont intimement liés à l’histoire de Butorangwe. Ils sont Butorangwe.

L’AUTONOMIE, UN DEFI DE
CHAQUE JOUR

Minimiser l’impact de la production de café sur l’environnement, c’est plus qu’une conviction à Butorangwe. C’est un état d’esprit. Récolte à la main, chemins sans goudron, mécanisation quasi-inexistante... Depuis Bao Daï il y a une centaine d’années, la presqu’île est pratiquement conservée dans son état d’origine. Mais cette philosophie d’entreprise a un prix... L’un des défis principaux et quotidien de la plantation est la circulation en son sein, et même dans toute la presqu’île. Comme la quasi-totalité des routes sont en terre, elles deviennent impraticables en cas de pluie et les embourbements des véhicules durent souvent des heures, parfois des jours lorsqu’il s’agit des camions. Pour faire face à ces conditions, Butorangwe n’a pas d’autres choix que d’entretenir elle-même ses routes et d’anticiper au maximum les pénuries susceptibles de survenir en cas de blocages de ces routes.

En effet, il n’existe pas de service de transport ni de livraison. Les pistes sont dégradées, la presqu’île isolée, les démarches administratives complexes et les charges financières très lourdes, aussi l’import de machines est impossible. Même problème avec les pièces détachées, qui sont parfois indispensables. Une panne d’outillage, et c’est toute la production qui s’arrête pour plusieurs jours, sans garantie de trouver et de faire venir la pièce manquante. Le « système
D » est parfaitement maitrisé à Butorangwe et c’est une condition sine qua none de survie : inventivité et courage sont à la base de la résolution de tout problème. Et avec le sourire ! Car ces difficultés d’accès et d’approvisionnement sont aussi des facteurs de préservation de la nature et de la biodiversité.
Le soleil et l’eau, tantôt alliés, tantôt ennemis. La pluie trop forte érode les sols, le soleil trop ardent brûle les jeunes plants… La nature reste indomptable ! Lorsqu’une averse imprévisible survient, c’est toute une génération de futurs caféiers qui peut être détruite ou une récolte récente encore sur les séchoirs.
Chaque saison, chaque jour, il faut tenter d’anticiper, de créer, se remettre en question.